"Force de vente"

Publié le par Bernard Bonnejean

ou l'art de fourguer de la came "littéraire"

Ce matin, ils ont sonné deux fois à notre porte. Même cause, même effet. Qui cela peut-il bien être ? Le facteur ? Non, impossible. Si c'était un colis, il aurait sonné à l'interphone. Quant au calendrier Oberthur, almanach du facteur, nous l'avons déjà. J'ai imposé Marilyn : côté début d'année 2010 "sur le tournage de Sept ans de réflexion, New york, 1954 ; côté derniers mois "Shopping à New York, 1956". Et je ne serais pas assez mesquin pour soupçonner qui que ce soit de l'avoir mis exprès sur le meuble du téléphone, à côté de la statue de saint Joseph et derrière la petite photo de l'abbé Pierre... Plus efficace que le bromure !

Les pompiers ? Cette année, ils ont envoyé une gamine, une superbe blonde, habillée en pompière, avec un sourire qui dirait : "Si tu me prends pas mon calendrier, je vais dire partout que tu es un mufle, un macho, un impuissant et en plus, ton incendie tu l'éteindras tout seul, parce qu'on arrivera trop tard !..." Alors, vous pensez si je le lui ai pris plutôt deux fois qu'une son "Les Sapeurs-Pompiers de LAVAL vous présentent leurs meilleurs voeux 2010. Chef de centre : Commandant Franck PARMENTIER - Président de l'Amicale : Stéphane BOSSARD". 

Les scouts de France, d'Europe, unitaires, etc. ? les guides de France, d'Europe, unitaires, etc. ? l'Armée du Salut ? les Témoins de Jéhovah ? Ils se seraient fait virer avant d'arriver au 7ème étage. Alors ? Qui est assez courageux, assez tenace, assez casse-cou et casse-coui... pour oser affronter l'adversaire, se faire virer, et recommencer avec le candidat suivant ? Mais vous le savez : FRANCE-LOISIRS, le champion toutes catégories du porte-à-porte de la littérature alimentaire.  




Parce que ça existe encore le porte-à-porte. Et à en croire une publicité Internet, cette méthode de vente a de beaux jours devant elle.
 
 Non seulement le porte-à-porte ne serait pas "ringard", mais l'annonceur affirme qu'un Français sur cinq achèterait à domicile. A une condition : que le "rentre-dedans" se transforme en "as de la vente directe".

Il est convaincu de la méthode, le PDG. Pour lui, « on peut tout vendre en porte-à-porte » sous certaines conditions, quand même : « Si les gens nous sentent décidés, ils suivent. La moitié de la vente, c'est de la séduction. » 

En fait, il n'est pas PDG, le Monsieur, il est chef de groupe à France Loisirs. Il encadre cinq  « délégués » chargés de vendre des abonnements. Qu'ils aiment ou sachent lire n'est pas vraiment la question. On apprend aux délégués, au cours d'une formation obligatoire, "un plan de vente type" : prise de contact, présentation du catalogue, réponse aux questions et contrat, tout ça en cinquante minutes maximum.

Le client reste roi. Il faut se plier à ses exigences, à toutes ses exigences. Imaginons que le délégué "tombe sur une cible" issue de l'immigration :

"Il connaît deux ou trois mots en sénégalais, en a appris d'autres en créole, plaisante sur ses origines asiatiques (« Je viens vendre des nems »), histoire de capter l'attention".

Et le tour est joué...




Mais, - car il y a un "mais" -, il y a loin du paillasson au coin de table de la cuisine. Et j'ai vraiment grand peur pour le porte-à-porte physique. Rêvons un peu à des lendemains qui chanteront pour les camelots de la culture.

Vous connaissez facebook ? Tous les facebooks ? J'ai appris, en effet, qu'il en existait au moins deux. Le public et l'intime. Passons sur le public : on y lit tout ce que vous voulez bien porter à la connaissance du plus grand nombre. L'intime est bien plus intéressant si vous avez un bouquin à vendre (ou une armoire ou une télé noir et blanc ou un vélo trois vitesses...). D'abord, vous mettez la première de couverture, énigmatique, sur une "page", sans commentaires. Puis, vous commencez votre tournée sur "Discussion en ligne" :

"Vous avez regardé ma page ?  Que vous inspire-t-elle ? Que comprenez-vous dans le titre ? Et encore ?"

Il est possible que votre interlocuteur vous fasse comprendre deux ou trois fois qu'il a autre chose à faire. Peu importe ! Vous le rappellerez plus tard. Il n'a pas le choix : "Discussion en ligne" s'ouvre tout seul.

Ne pas oublier la flagornerie, toujours payante :

"C'est un grand honneur que vous vous intéressiez à moi. Je ne suis pas écrivain comme vous. Votre avis m'importe donc énormément".





Vous voilà piégé. Le bouquin du Monsieur ne vous intéresse absolument pas ? Peu importe ! Il vous a eu par la flatterie à laquelle, comme tout le monde, vous ne pouvez vraiment céder. Alors, à bout de "non", vous finissez par dire "oui", mais sous forme d'échange. Vous acceptez le bouquin de votre "nouvel ami" à condition qu'il accepte un des vôtres. Affaire conclue ? Pas tout à fait. Il y a une condition au troc. Vous devez lui promettre un article critique dans une revue. Vous n'avez rien lu ? Donc, nous partirons du principe que vous êtes tenu, à l'avance, de trouver le bouquin excellent... D'ailleurs, ça ne peut être que vrai, puisque tous ses amis de facebook, qui ont eu droit au même harcèlement commercial, l'ont tous dit. Ils l'ont même écrit, parfois maladroitement, sur un "groupe" spécial créé par le nouveau génie littéraire.

Ne lui reste qu'à se faire mettre, si j'ose dire, sur wikipedia, dans la rubrique "littérature du XXIème siècle" (avec un seul petit livre !)  sous l'AOC "écrivain" (lui qui vous a avoué ne jamais l'avoir été) et roule carrosse !
 
Avouez que c'est tout de même plus efficace que le porte-à-porte traditionnel de France-Loisirs...

A bientôt, les Amis

Bernard Bonnejean



Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé serait le produit d'une pure coïncidence.

Publié dans culture humaniste

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