PATRICIA LEFRANC

Publié le par Bernard Bonnejean

À LIRE ABSOLUMENT

Patricia Lefranc, Vitriolée, Collection « Témoignage et documents », Paris, éd. La Boîte à Pandore, 2014, ISBN 978-2-87557-070-3, 16,90 €.



D’un destin exceptionnellement dramatique, on a coutume de dire qu’il est « zolien ». Affirmer que « c’est du Zola » ressortit la plupart du temps à une méconnaissance du roman naturaliste instauré par le maître de Médan. En réalité, presque tous ses récits sont construits selon une linéarité sans surprise d’après un schéma assez classique tout à fait propre à l’exposition et à l’exploitation littéraire d’une série de causes à effets. Le plus souvent le dénouement est attendu parce qu’expliqué. Il serait presque plus logique de dire que L’Assommoir, pour ne citer que cet exemple, commence au début pour s’achever à la fin. Le romancier devient alors « observateur » avant de devenir « expérimentateur » et son héros est presque toujours un spécimen, un cobaye, un sujet de laboratoire choisi pour ses qualités non pas de prototype mais de stéréotype. Invités à le suivre pas à pas, le lecteur devient laborantin et chercheur. Il lui est pratiquement impossible de dévier d’une trajectoire dessinée à partir des deux principes fondateurs du naturalisme : le poids de l’hérédité et des déterminismes. Gervaise, fille d’alcoolique, est alors le modèle de la femme sans volonté tombée à son tour dans l’alcoolisme puis condamnée à la misère et à la mort. Elle donnera naissance à Nana, qui elle-même tombera dans les mêmes travers. En fait, les grands naturalistes ne nous proposent que la relation d’Une vie, titre choisi par Guy de Maupassant pour la narration de l’existence « d'une femme depuis l'heure où s'éveille son cœur jusqu'à sa mort », selon l’écrivain qui ajoute en sous-titre « ou L’Humble Vérité ». Il ne s’agit plus de paraître vraisemblable, mais de faire aussi vrai que le réel : sans excès, sans emphase, presque sans subjectivité, ce qui ne veut pas dire sans susciter l’émotion du lecteur-témoin. Toute vérité est « humble » car comme l’affirme le sens commun : « Il n’est pas besoin d’en rajouter ».

 



Patricia Lefranc n’a rien ajouté non plus à sa biographie. Ce fût totalement inutile tant les faits rapportés se suffisent à eux-mêmes dans leur horreur. Elle avait pourtant la matière, bien au-delà du suffisant, pour bâtir une fiction, un roman de type zolien. Il aurait été raté parce que très vite jugé invraisemblable. Comment voulez-vous qu’on accorde une foi quelconque à un tel tissu de drames qui se superposent plus qu’ils ne se juxtaposent jusqu’à l’indicible inéluctable ? De cela, si j’étais un scientifique parvenu au recul nécessaire pour juger froidement êtres et événements, je dirais que le livre de Patricia Lefranc constitue l’histoire d’un processus de reconstruction sous la direction du chevalier belge Benoît Lengelé, professeur titulaire de la chaire d'anatomie humaine de l'Université catholique de Louvain, chef du département de morphologie expérimentale ; que cette reconstruction est devenue nécessaire à la suite d’un événement majeur exposé par l’auteur après le récit des causes et des conséquences qui constituent, en quelque sorte, les préliminaires du drame rapportés dans les premiers chapitres du témoignage. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour avoir ce recul-là. Ou le sadisme animal de Richard Remes, l’ignoble monstre qui ce jour-là, 1er décembre 2009, vient de déverser le contenu d’une bouteille d’acide sulfurique sur le visage et une partie du corps de Patricia. Trois mois de coma avant un long et douloureux calvaire qui n’en finit pas. Si Remes est condamné à 30 ans par la cour d’assises de Bruxelles en mars 2012, sa victime, elle, est condamnée à la mort sociale. Condamnée aussi, à ne pas pouvoir « réparer des ans l’irréparable outrage », comme a su le faire Jézabel, la mère d’Athalie dans la pièce éponyme de Jean Racine.

 

 

 

Pourquoi est-ce précisément ce songe affreux d’Athalie qui me revient maintenant à la mémoire :



Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange

D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,

Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux

Que des chiens dévorants se disputaient entre eux ?

 

 

Du coup, penserez-vous, c’est le commentateur qui exagère ! Laissons donc s’exprimer Patricia Lefranc :

 

Je me retrouve, quelques instants plus tard [après l’attentat de Remes], sur le palier situé devant mon appartement. Je n’y suis pas seule car mes voisins m’entourent. Ils viennent d’acheter un chien. Un animal qui me dégoûte radicalement. Outre un physique disproportionné et patibulaire, sa mâchoire est composée de dents de piranhas ! J’ai extrêmement peur et demande à mes voisins de l’éloigner de moi. Plus je crie, plus ce fauve me montre les crocs et m’aboie dessus. Une situation que je ne supporte plus, si bien que je saute dans les bras de mon voisin. Une réaction qui entraîne celle du chien, à savoir me mordre et surtout, me dévorer l’oreille gauche. Tout un symbole.

!
En effet, tout un symbole ! Le chien Remes, manipulateur, dévorateur, accusé par une de ses maîtresses d’avoir tué son bébé le 6 août 1988, une petite fille de 17 mois, Sandra, étouffée ! Jugé bientôt pour tentative d’assassinat ! Si Patricia Lefranc peut prétendre à une réparation après une centaine d’opérations, j’en suis beaucoup moins assuré pour le monstre pervers qui, l’ont souligné le jury et les magistrats, n’a jamais fait preuve de remords, se montrant « froid et inaffectif ». On apprend ainsi que Remes a seulement concédé le regret des « erreurs » passées à l’issue du procès de 2012 !

 

Le poète français Charles Péguy affirmait que « tout est joué quand nous avons douze ans ». C’est dire le poids de l’enfance dans un destin. Il fallait donc bien que Patricia Lefranc commence par tracer cet « énorme trou noir » de son enfance sous la férule d’un « couple de pervers fou ». Victime d’une mère alcoolique qui la déteste, elle n’échappe à l’emprise parentale que pour tomber dans les bras d’un drogué, Auguste, employé de son père blanchi d’une accusation d’inceste sur ses deux filles, demi-sœurs de Patricia. J’arrête là ! Quel destin ! Mais aussi quelle mission, Madame !

 

 

Aujourd’hui vous voilà à la tête de plusieurs combats abordés dans le chapitre 34 de votre livre. Le premier, le plus attendu peut-être, concerne l’incompressibilité des peines pour « les infractions d’une extrême gravité », une mesure doublée d’une autre : l’octroi systématique d’une aide financière aux victimes et à leurs familles, sans plafonnement. Dans votre second combat, vous appelez les autorités belges et européennes à « retirer la vente du vitriol de tous les rayons des commerces de grande distribution », à rendre l’acide sulfurique, le vitriol, plus traçable. Qu’en est-il de ce combat depuis que le secrétaire d’Etat belge Melchior Wathelet avait décidé en janvier 2013 d’en faire « une mesure nationale » ? Surtout depuis que vous avez justement internationalisé vos objectifs ? M’en voudra-t-on beaucoup si je dis que ces missions vous ont été confiées par un décret supérieur ? Qu’elles vous furent imposées, je n’en doute pas un seul instant. A-t-on demandé l’avis de notre héroïne Jeanne d’Arc avant de l’arracher à la paix de Domrémy pour la placer au milieu des batailles avant de lui imposer le bûcher immérité ? Elle avait dix-huit ou dix-neuf ans, notre Jeannette, promise à garder les moutons, à débrouiller la laine pour la mettre en écheveaux, assurer une descendance et tenir une maison. Au lieu de ça… Je sais qu’on m’en voudra beaucoup d’évoquer votre destin sous cet angle. Et pourtant…

Bernard Bonnejean,

Docteur de l’Université de Haute-Bretagne,

Agrégé de Lettres modernes,

Sociétaire de la SGDL


et… admirateur inconditionnel de « Patou »

 

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F
Bonsoir Patricia bravo pour ton combat continue tu es une femme en or ne l oublie jamais <br /> je t embrasse
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B
Bonjour, <br /> <br /> Si vous ne parvenez pas à rédiger un commentaire sur ce blog, prière de me le faire savoir à mon adresse mail. Merci.
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