Au Freddie's Bar (suite 2)

Publié le par Bernard Bonnejean

 

 

La poésie sous curatelle

 

Troisième épisode : le 212 


 

 

En fait, le bureau 212 du Quai des Orfèvres était occupé par un reliquat négligé du 2ème Bureau, célé dans les caveaux des ministres défunts. Après qu’à l’automne 1895, Georges Picquart, chargé du dossier Dreyfus, avait été remplacé par le colonel Henry, on avait profité de l’aubaine pour confier le contre-espionnage, jusque là rattaché au ministère de la Guerre, au ministère de l’Intérieur. Puis, en bonne logique, les services du chiffre avaient revêtu le pantalon garance en 1914. En 1918, la centralisation des renseignements était confiée à un Commissariat à la Sûreté nationale rattachée au Président du Conseil, l’équivalent du premier ministre actuel. En 1924, le Service de Renseignement comptait 70 commissaires spéciaux, nombre assez insuffisant pour que soit créée, sous les ordres de Charles Cotoni, une direction générale de la Sûreté, avec renforcement en moyens humains, matériels et juridiques. Ce n’est qu’en mars 1937 que Léon Blum mit un terme aux querelles entre les ministères concernés, créant le service des Renseignements Généraux, le service du commissaire Bordelieu.

 



Parvenus ce point de mon récit, j’entends les plus curieux me demander la raison de cette brutale interruption dans l’historique de notre auguste maison Poulaga & Co juste avant la deuxième guerre mondiale. Pourquoi ne pas poursuivre au-delà, au moins jusqu’en ce jour du 12 juin 2010, quand, dans la chaleur étouffante d’une canicule précoce, Désiré Bigot transpirait de son crâne chauve jusque sur le dossier de la chaise administrative ? Sans doute auriez-vous aimé savoir si Bordelieu faisait ou non fonction d’officier des Renseignements Généraux ? Impossible ! Officiellement, les RG n’existent pas plus que les écoutes téléphoniques à notre époque. D’ailleurs, ces affaires strictement internes regardent-elles les votants contribuables et justiciables d'une nation démocratique ?

 





En réalité, si « nul n’est censé ignorer la loi », personne ou presque ne sait, à cause de quel décret il est présent au 212 sous de multiples formes, à moins d’une vie en tous points exemplaires, c’est-à-dire indifférente, imperceptible, parfaitement inutile aux autres et à soi-même. Il fut certes une époque où le citoyen lambda, petit délinquant ou truand notoire, était arrêté, jugé, puni et relâché, si le tribunal ne lui avait pas fait perdre la tête. Il en va tout autrement aujourd’hui : à leur insu, ce qui peut se concevoir, mais aussi à l’insu de la justice qui pourtant fait ce qu’elle peut pour se montrer libre, indépendante et impartiale, les Bigot de toutes espèces se retrouvent fichés par des Bordelieu de tout acabit, sans que le Ministère de la Justice en soit informé.

 

C’est ainsi qu’il est impossible de savoir si notre divisionnaire avait en charge tout ou partie des informations contenues dans les STIC, FVV, FPR, FRG, FNT, FBS, FIT, FNFM, FNAEG, SIS, DST, SALVAC, FTPJ, FAED, JUDEX, FOS, FTIVV, ANACRIM, SCPPB, FAC, PULS@R, BB2000, COG-RENS, FAR, FPNE, ARAMIS, SDRF, ARIANE, FIJAIS, AGRIPPA, etc. Et pourtant, même si « seules les personnes habilitées » peuvent les consulter, il y a fort à parier que de temps à autre l’erreur est plus humaine dans ce domaine que dans quelque autre… Peu importe, me direz-vous ! Voire ! C’est avec ce genre de procédés « légaux » que de pauvres gens, catalogués francs-maçons, pour ne parler que d’eux, se sont retrouvés à Drancy, actuellement en Seine-Saint-Denis, sous la protection musclée de la police française, attendant un train pour l’enfer et la mort…





 

Revenons à nos moutons !

L’ambitieux divisionnaire, profitant du flou artistique qui entoure dossiers et fichiers secrets,  ne se contentait donc pas de traquer le malfrat ; son bureau 212 était le lieu de conciliabules interlopes, d'arrangements confidentiels, de l’underground international. Connues des agents de Londres et de Moscou, d’Oslo et de la Terre Adélie, les manigances du « gauche-droite-gauche », comme on l’avait surnommé, étaient parfaitement inconnues du 210 comme du 214, les deux bureaux adjacents. Sauf quand Bordelieu, dans sa toute-puissance, avait envie de lâcher quelque information, comme ça, en guise de bonne blague, sur l’homosexualité de tel député, sur la jeunesse un peu houleuse d’un grand personnage, sur le goût immodéré d’un autre pour une substance jugée nocive. Il arrivait même qu’à la suite de négociations fructueuses certaines pièces s’échappent du 212 pour alimenter les caquetages du mercredi d’un allègre colvert.

C’est dire qu’il en avait vu passer des messages chiffrés, le Commissaire divisionnaire Amédée Bordelieu. Il en avait découvert des clés, fait sauter des serrures !

Mais là !?





Cet inconnu m'a semblé bien camper le Divisionnaire

Devant son client bouche bée qui vaticinait déjà diagnostic et pronostic, le pauvre Commissaire eut un sifflement admiratif et lâcha :

« Les vaches ! Elles sont fortes ! Il faut que j’envoie ça au service de décryptage, chez Tsé Tseï. Pendant ce temps-là, vous allez me raconter tout ce que vous savez. Je crois qu’on est sur une sale affaire ! »

Bigot, qui avait passé sa vie à courir après les palmes académiques sans succès, se rengorgea. Enfin, il le tenait son premier rôle !  

 

 

 

Suite au prochain numéro

 

« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. » — « Et mon [...], c’est du poulet ? »

 

© Bernard Bonnejean, 21 juillet 2010. Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'URSS, la Chine populaire et le Finistère Nord.

Publié dans vie en société

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B
<br /> <br /> AUX DEMOISELLES D'OVER-BLOG<br /> <br /> <br /> Chères amies,<br /> <br /> <br /> Je sais combien votre temps est précieux.<br /> <br /> <br /> Pourriez-vous, je vous prie, agrandir les deux bandeaux jaunes du début et de la fin, dans l'unique but que mes deux textes puissent être lus en entier.<br /> <br /> <br /> Vous remerciant bien chaleureusement,<br /> <br /> <br /> Votre client préféré,<br /> <br /> <br /> Bernard<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Comme vous avez pu vous en rendre compte par vous-mêmes, mes chères amies, je m'en suis sorti par un bidouillage personnel.<br /> <br /> <br /> Je ne vous en remercie pas moins,<br /> <br /> <br /> Bernard<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> <br /> Bonjour Bernard, tes articles sont toujours bien étudiés et il y a bien de la recherche pour écrire tes sujets, merci pour ce beau partage, bon weekend, bises.<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Enfin quelqu'un qui a compris que l'écriture c'était avant tout du travail !<br /> <br /> <br /> J'espère que les copines sont gentilles avec toi sur facebook. Sinon, tu me préviens : j'organise une razzia en solitaire.<br /> <br /> <br /> Grosses bises, ma Fathia.<br /> <br /> <br /> Bernard<br /> <br /> <br /> <br />