HISTOIRE DE GRIOTTE

HISTOIRE DE GRIOTTE

Il était une fois un brave type qui passait pour aimable et gentil avant d’être gagné par la morosité ambiante.

Il passait quelques jours dans la banlieue parisienne auprès d’une dame âgée. Elle était malade au point de ne pouvoir se passer d’aide extérieure. Comme la jeune femme qui venait habituellement était en vacances, l’association responsable eut la bonne idée de lui envoyer une remplaçante. Elle était aussi noire que charmante, aussi jeune que docile. Au bout de quelques jours, le brave type apprit que sa jeune employée appartenait à une lignée légendaire de griots guinéens-Conakry, parmi lesquels on compte encore de nombreux poètes, musiciens, chanteurs. Elle se dit même de la famille du très célèbre Camara Laye, l’auteur de l’ « Enfant noir » qui fit le tour des collèges français dans les années soixante-dix. De plus, la petite griotte était cousine, disait-elle, d’un grand poète griot homonyme.

Le brave type se sentait un peu gêné tout de même de faire faire les corvées de la maison à cette aristocrate noire. Il lui proposa donc d’aller faire un tour en voiture dans un parc paysager connu. Pour donner le change, il lui dit qu’elle pourrait ainsi donner le bras à la dame âgée, ce qui, malgré tout, entrait dans ses attributions. Au cours de la conversation qui précéda la promenade, le brave type apprit pêle-mêle que la petite griotte ne travaillait pas suffisamment pour manger à sa faim et qu’elle devait payer le train et le bus pour travailler une heure ou deux chez son unique cliente. Son cœur ne fit qu’un tour. D’abord, il offrit une gaufre à ses deux compagnes chez le marchand du parc, se promettant de renouveler le geste aussi souvent que possible. Il la regarda se jeter sur la gaufre – sa toute première – comme si elle n’avait pas mangé depuis longtemps. Puis, profitant des éléments d’information livrés dans la conversation, il se proposa d’emmener Ainama à l’ANPE de son domicile. Le voyage parut très long ! La distance était énorme. « Comment pouvait-on ? », se dit-il.

Ils arrivèrent enfin près de l’entrée de Pôle Emploi. La jeune femme s’éclipsa quelques instants et revint avec un grand gaillard habillé à l’africaine. C’était le mari, fort élégant et fort distingué. À leur grande stupéfaction, la dame âgée et le brave type revenus sur leur pas virent de loin le couple s’éclipser à bord d’une superbe voiture au bout d’une minute ou deux ! Sans passer par Pôle emploi ! Et pour cause : l’illustre maison est fermée le vendredi après-midi.

Alors le brave type devint méchant et échafauda la trame de cette escroquerie. Voilà donc une Africaine qui fait semblant d’être pauvre, qui refuse de travailler et de répondre aux convocations de Pôle Emploi. D’ailleurs ceux-là ne servent sans doute qu’à lui fournir le certificat qui lui permettra de toucher les multiples aides dont ne peuvent bénéficier nos travailleurs salariés ! Tu parles d’une griotte ! Encore une parasite, sans aucun doute.

Dès le lendemain, il apprit que la jeune Ainama avait choisi le vendredi, jour où les musulmans vont à la mosquée, pour profiter de la voiture de sa voisine et qu’elle avait été bouleversée de voir comment un Européen avait pu l’aider sans faire d’histoire. Il eut honte, lui offrit une autre gaufre au parc et passa l’aspirateur sans doute pour se mortifier. Le jour de Pâques le pape François, donnant la bénédiction Urbi et Orbi, demanda au peuple chrétien d’être solidaire de la Guinée Conakry ! Entretemps, tous trois avaient traversé Sarcelles et il avait été question de l’ancien maire :

« Tu vois, Momo, c’est le patelin du politicien violeur.

Et il entendit la petite voix très douce de Ainama :

« Dominique n’a violé personne. Ma sœur guinéenne, Nafissatou Diallo, a dit ça pour avoir des sous. Dominique est quelqu’un de bien ! »

Fin de la leçon.

BONNE NUIT ET BONNE SEMAINE. Demain, je vous écrirai de Laval, du pays des Européens qui savent et qui jugent…