Les poétesses francophones de FB : Linda Pyontka Reeves (Canada)
De l'art d'être mère
Être mère, c'est une conception de l'existence.
Linda Pyontka Reeves est mère comme elle est poète : par nature et par instinct. On naît fille, on devient femme. On ne naît pas femme, on ne naît pas mère, on ne naît pas poète ; on le devient. Alors que veux-je dire par nature et par instinct ? Le risque est grand, une fois encore, de donner l'impression de nager à contre-courant, en réactionnaire pontifiant, indépendant de morales officieuses laïques dont le maître-mot, érigé en principe fondateur, affiché comme une conviction, est « liberté ».
Défenseur d'une certaine féminité à l'opposé d'un féminisme laxiste et paradoxal qui a inventé le concept de non-femme, c'est-à-dire « être sexué malgré elle qui souffre d'être femme et refuse de l'être trop ou de trop le paraître », c'est vrai que je réagis parfois violemment contre ce sectarisme ambiant mené par des intellectuelles plus ou moins intelligentes, souvent athées ou agnostiques, fustigeant la cellule familiale traditionnelle, pourtant constitutive d'une société bâtie, qu'on le veuille ou non, sur le même modèle.
Ce matin j'ai appris deux choses sur France Inter. D'abord la citation que j'ai placée en exergue de cet article, entendue vers 12 heures 20 de la bouche d'un humoriste de grand talent : Vincent Roca. Un humoriste ou un poète, demanderez-vous ? C'est la même chose.
Et un fait de société, ou sa traduction concrète : à la question « Qui considérez-vous comme la personnalité intellectuelle la plus influente actuellement ? », la réponse d'une majorité de sondés serait : Madame Élisabeth Badinter. J'avoue tout de même n'avoir prêté attention ni à l'institut de sondage ni à son commanditaire. Cependant, ce choix révèle, à mon avis, un tournant du féminisme, dans l'acception la plus humaine et la moins militante. Élisabeth Badinter, à laquelle seuls des sots reprocheront d'être née Bleustein-Blanchet, et/donc d'avoir été nommée présidente du conseil de surveillance du groupe Publicis est surtout l'auteur d'un Fausse Route (2003) qui marque un tournant dans la révolte contre le mâle dominateur, à la mode des années soixante. Contre la guerre des sexes, contre les statistiques truquées, fondées sur des sondages où l'on n'a interrogé que les femmes, elle y écrit notamment :
« À vouloir ignorer systématiquement la violence et le pouvoir des femmes, à les proclamer constamment opprimées, donc innocentes, on trace en creux le portrait d'une humanité coupée en deux peu conforme à la vérité. D'un côté, les victimes de l'oppression masculine, de l'autre, les bourreaux tout-puissants » (Fausse route, Éditions Odile Jacob, p. 113, cit. ©Wikipedia).
Autrement dit, si nos sociétés contemporaines veulent progresser dans la connaissance et la remédiation de la violence, il faut considérer ce fléau objectivement, sans partir de l'apriori commode et fondé sur un principe sexiste que la femme est toujours victime et l'homme toujours coupable. Cette pseudo-vérité, loin de faire évoluer la condition faite aux femmes, les enferme dans une image commode et sans issue.
Linda Pjontka Reeves
Linda Pyontka Reeves, québécoise, n'est pas, à ma connaissance, une féministe à l'américaine. Pourtant, l'un de ses poèmes m'a fortement bouleversé par la violence contenue de son évocation. Il ne s'agit pas d'une leçon de morale officielle ; d'un sermon théorique et creux ; même pas d'un combat existentiel de pro-choice contre pro-live. Non ! Se déroule sous nos yeux embués par l'empathie le drame d'une toute jeune maman-par-accident, poussée par les circonstances à faire le choix d'une solution qui, de toute façon, la dépasse quoi qu'elle décide :
Mon ange
Là, blottie au creux de mes reins,
toi petit bout d'éternité.
Explosion de bonheur,
tendre larme versée.
Déjà au bout de mes seins,
je sens cet élixir,
don précieux pour mon enfant.
Et puis c'est l'horreur,
je ne peux te garder.
Je ne suis moi- même qu'une enfant.
Je suis brisée,
irréparable.
Un morceau de moi
mourra en même temps que toi.
Enfin l'acceptation :
assise, j'attends
que l'on t'enlève à moi.
On me fouille,
on te cherche,
et on t'arrache à moi.
Mon cœur s'arrête,
et je te vois,
toi...
Tu me tends la main,
et nous nous envolons
vers ton éternité.
Tu suspends ton envol,
et me regarde,
toi, mon ange, mon héritage.
Une larme coule sur ton beau visage,
je la cueille du bout du doigt.
Nos deux âmes s'interpellent,
nos cœurs se rappellent.
Nos mains se séparent,
et tu entres dans la lumière.
Mon cœur se remet à battre,
j'ouvre les yeux.
Une larme coule sur mon visage.
Un jour nous serons réunis,
mon enfant, ma vie...
Ce « assise, j'attends » exprime tout : la souffrance subie, la résignation. Quelle âme assez aveugle, assez cruelle osera encore parler d'infanticide après cette évocation poignante d'une IVG ? Que d'amour entre cette petite maman et son « enfant à naître » qui ne naîtra pas, non pas à cause de l'égoïsme ni du manque d'amour, mais simplement parce que sa mère n'a pas les capacités de l'être complètement. Souvenez-vous : On ne naît pas femme, on ne naît pas mère, on le devient. Le problème est qu'une fille a la capacité d'être génitrice avant d'être femme accomplie.
Au reste, ne remarque-t-on pas une absence dans ce tableau de jeune femme enfermée seule dans son cauchemar, absorbée dans sa claustration ? Lui, il n'est pas là. Et dans cet amour profond, partagé, impérissable, il n'y a que deux personnes, là où la nature en a prévu au moins trois.
On devine que Linda Pyontka Reeves, Montréalaise née le 6 février 1961, a eu une vie avant la vie. Et de cette pré-vie, si j'ose dire, elle a tiré une expérience admirable qu'elle traduit en mots simples, sans fioritures. Sa poésie n'est pas recherchée, peaufinée, intellectualisée : Linda Pyontka Reeves y distille sagement, presque avec prudence pour ne heurter ni brusquer personne, un amour profond qui invite tout chaland qui passe à se partager à la bonne franquette. Cette jolie jeune fille de quatorze ans
Linda Pyontka Reeves à 14 ans
avoue elle-même qu'elle eût été plus heureuse si elle s'était aimée davantage. En fait, sans doute la vertu essentielle de la poétesse a-t-elle été double : une patience contre les vicissitudes de l'enfance et de l'adolescence et un débordement d'amour pour les siens que la pudeur ne cherche pas à étouffer. Linda Pyontka Reeves est une épouse et une mère aimante et on l'aime peut-être surtout parce qu'elle sait aimer.
Un sens aigu de la famille
Et l'amour a fini par porter ses fruits. En poétesse reconnaissante, Linda Pyontka Reeves, n'a pas oublié d'en remercier la nature en des vers frais qui font naître des émotions qu'on croyait oubliées en ce siècle de matérialisme outrancier. C'est encore la mère qui sait trouver en elle les accents sincères d'une ode peu solennelle mais franchement libératrice et purifiante, un langage caressant et tendre bien éloigné de la guimauve des billets doux :
Un enfant est né,
qui laissa derrière lui ses ailes.
Un sanglot lui échappe,
il pleure son paradis.
Le chant des anges
qui le berçait dans l'attente
a fait place aux refrains d'une maman.
Tous ses sens en éveil,
le voila blotti contre son sein,
sentant son odeur,
à l'écoute des battements de son cœur.
Il a retrouvé son Éden ;
comblé il boit son élixir de vie.
Leurs regards se rencontrent.
Un enfant est né,
une maman est née.
Une grande histoire d'amour vient de commencer.
Un enfant est né, une maman est née ! Tout nouveau-né est divin ! Chaque naissance est un Noël ! Mais cette fois, il est là, lui !
Et la maternité a enfin un sens !
Bernard Bonnejean