"Je vous salue ma France"
“Le musée Grévin”
A María Eugenia,
amante de la libertad y de Francia
En 1943, la France est sous le joug de la terreur nazie. Trahie par les pétainistes, asservie provisoirement par l’envahisseur, un poète entrevoit le jour prochain de sa délivrance en un beau chant d’amour où il manifeste une confiance fondée sur l’amour qu’il lui porte. Allemands et collaborateurs, déjà perdus, font figure de statues de cire à entreposer au Musée Grévin. « Touchant à la fin de l’éclipse », on sent poindre à l’horizon le jour où l’on pourra de nouveau chanter les « Maries de France aux cent visages ».
L’un des prisonniers, déportés, maquisards, reviendra bientôt au foyer pour lui chanter cet hymne à la patrie, rendue à la vie au bout de plusieurs années de « nuit et de brouillard » :
«Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes !
Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux...
Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme !
Cloches, cloches, sonnez l’angélus des oiseaux !
Orléans, c'est la ville qui fut délivrée par Jeanne d'Arc, où vivent mes compagnons que je salue ; Beaugency, au carrefour de grandes voies stratégiques, siège de deux conciles célèbres, fut âprement disputé au XlVe et au XVe siècles, c’est la cité de mon amie Catherine ; Vendôme, centre féodal et monastique rattaché à la monarchie française au XlIe siècle, est lié au souvenir de Blanche de Castille et à celui de François Ier, et l'on sait que le Vendômois fut chanté par Ronsard.
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,
Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux...
La France a été dans le passé, comme elle l’était encore au temps du poème, un sujet de querelle, c’est-à-dire de plainte et de tourments. Mais un même idéal anime les héros ensevelis et les oiseaux qui peuplent le ciel.
Je vous salue, ma France, dont les vents se calmèrent !
Ma France de toujours, que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l'oiseau du large y vienne et se confie.
La France nous a rappelé il y a peu qu’elle est baignée par la mer sur trois côtés de son hexagone. J’offre cette strophe aux Vendéens et aux Charentais.
Je vous salue, ma France, où l’oiseau de passage,
De Lille à Roncevaux, de Brest au Mont-Cenis,
Pour la première fois a fait l’apprentissage
De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid !
Lille, c'est la Flandre nordique ; le Mont-Cenis sépare la France de l'Italie ; Brest, c'est la ville la plus occidentale de France et, comme disait Michelet, « la pointe, la proue de l'ancien monde » ; Roncevaux, col fameux des Pyrénées, est lié au souvenir, disons même à la légende, de Roland. J’offre cette strophe à tous les Français qui peuplent cette terre.
Patrie également à la colombe ou l'aigle,
De l'audace et du chant doublement habitée !
Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité...
La France est une et indivisible, Monsieur Besson. Mais elle est aussi diverse. Notre patrie est la synthèse de toutes ses provinces et de tous ses habitants qui lui apportent leur diversité bienfaisante et féconde. J’offre cette strophe à tous les Français d’origine étrangère et à tous les étrangers qui veulent devenir français.
Je vous salue, ma France, où le peuple est habile
À ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l'on vient de loin saluer dans sa ville
Paris, mon cœur, trois ans vainement fusillé !
Le sacrifice des martyrs de la Résistance, du Mont-Valérien, jusqu'aux derniers, ceux de la cascade du bois de Boulogne ne doivent pas nous faire oublier les héros du groupe Manouchian, qui donnèrent leur vie pour une patrie qui n’était même pas la leur. J’offre cette strophe à Najlae, la petite Marocaine qui rentre tout à l’heure dans son lycée d’Olivet grâce aux résistants français d’aujourd’hui.
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu'il ne tonnera plus,
Liberté dont frémit la silence des harpes,
Ma France d'au-delà le déluge, salut !»
La France, libérée du déluge, a fait alliance avec Dieu. Mais l’arc-en-ciel, symbole biblique, fait aussi penser aux trois couleurs du drapeau national. Il faudra cependant que les harpes se taisent en signe de deuil pour que dans le silence la liberté triomphe.
Ce poème fut publié clandestinement sous le pseudonyme de François-la-Colère. Je ne sais pas quand Louis Aragon décida de découvrir son nom. Je l’offre, en son entier, à son ami Jean Ferrat, et à tout le corps électoral français, y compris aux abstentionnistes, pour qu’ils prennent conscience que grâce à ces héros leur vote aura été rendu possible. Puissent-ils ne jamais connaître une France jugulée par un ennemi de cette liberté acquise par le sang et les larmes !
Bernard Bonnejean