Si on schtroumpfe, vous schtroumpferez bien avec nous ?
De la volatilité du langage et de la communication
Pauvre Docteur Lacan, si vous saviez ! Ils n’ont jamais autant parlé de « communication » que depuis qu’ils ne se parlent plus. De pseudo-scientifiques, plus ou moins ignares, ont trouvé de quoi se faire mousser par l’invention baroque d’une multitude de communications : non verbale, institutionnelle, commerciale, non violente, visuelle, externe, tube, interpersonnelle…
Prenons un exemple : la communication interne. Qu’y apprend-on ? Au menu n° 1 : la communication interne et la stratégie d'entreprise, le management, la culture d'entreprise et les limites de ce type de communication. Au menu n° 2 : Analyse de Karim HAMADACHE (Consultant en management) s'articulant ainsi : introduction ; relation entre leadership, gestion du changement, et communication ; qu'est-ce que la communication ; les messages importants concernant le changement ; communication et changement : Qui, Quoi, Quand et Comment... Ensuite, si vous avez bien appris vos leçons, vous pourrez atteindre le niveau suivant : La formation comme véritable outil de communication interne ; de la communication interne au service de la formation... Enfin, si vous êtes perdu, on vous proposera quelques points de repère pour la communication interne, afin d’acquérir une stratégie proche de celle vue pour la communication externe, avec définition des finalités, des objectifs, budgets...
On en a même fait des diplômes : le BTS en communication ; le BTS en communication visuelle ; le BTS en communication visuelle option multimédia ; le BTS en communication des entreprises ; le BTS en communication graphique ; et, pour couronner le tout, le BTS en communication en alternance (un coup je cause ; un coup je cause pas ?). Je n’ai pas trop de temps à perdre, aussi vous laisserai-je le soin de découvrir jusqu’à quel niveau d’études on a poussé la plaisanterie : sans doute jusqu’à l’ingénierie.
Le problème, donc, est que cette communication-là, ne peut en aucun cas servir à communiquer, en tout cas moins bien que le langage des signes.
Soyons honnête : l’ancienne « communication » non plus. Lorsque Peyo lança ses petits hommes bleus en 1958, il ne savait pas qu’Umberto Eco consacrerait plusieurs pages à la sémiologie du langage schtroumf, non pas en tant que système de signes incompréhensible mais langage de substitution à interpréter par l’esprit humain. Ce que démontrait Peyo, c'est que tout langage est interprétable.
La communication n’a rien à voir avec la communion. La « liberté du travail », expression de Jaurès, peut recouvrir une multitude de significations différentes, voire opposées, selon l’émetteur et les auditeurs.
Toute littérature est artificielle. Toute langue institutionnalisée par une société donnée est une littérature. Parler, s’exprimer, c’est jouer. Quand Louis-Ferdinand Céline écrit :
Le cavalier n’avait plus sa tête, rien qu’une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite
il joue, comme il l'a souvent dit, mais est-il plus ou moins compréhensible, plus ou moins « vulgaire » et « déplacé » que le soldat Henri Nicolle décrivant la même guerre :
C'est la course à la mort. Le sol est un chaos de pierres où gisent grenades, munitions, armes, capotes, corps inanimés, corps pantelants.
Dire, ne pas dire, la façon de le dire, l’art et la manière de le dire. « Il ne faut pas dire ça » ; « il ne faut pas dire ça comme ça », « il y a des choses qu’on ne dit pas », etc. Et si ce qui était inconvenant, déplacé, n’était pas justement la réalité, indicible celle-là !!??
Les artistes, qui ont plus d’un tour dans leur sac, ont inventé des stratagèmes pour contourner les obstacles. Pierre Dac fut sans doute un des maîtres de la non-communication. Du moins le pensait-il. Parce que vous proposez ce sketch à un étranger qui n’a aucune notion de français ni de technique, il écoutera religieusement cette « communication » scientifique, ne serait-ce que par politesse.
Des poètes aussi ont donné à la littérature des messages à code. Ne dites pas que ça ne veut rien dire, là où ça veut tout dire, tout ce que vous voulez que ça dise, tout ce que ça vous dit aujourd’hui, qui vous « parlera » différemment demain. Un de mes poèmes préférés pour commencer. Comme on dit dans le peuple : « Y’a pas d’mal à s’faire du bien ! ». De Robert Desnos. Tenez, je vous le confie dans sa version audio-graphique :
les 4 sans cou
par zimzomb
Voici un de ces poèmes oulipiens dont je ne connais pas l’auteur et que vous trouverez sur le site de l’Université de Montréal-Québec :
Le vainqueur d’opus
Ce fut un grandiloquent vainqueur taché dans l’opus m’as-tuvu :
Ses masures tortillaient l’azoturie, sur des méplats inconsolés ;
Le Cyprès d’amorti, chevenne éperdu, chaînistes nucléaires,
S’établait à sa protubérance, au soldeur exclu.
Mais (il) vint une nuée framboiser le grandiloquent ectropion
Dans l’Occupant tropical où chancissait les Siphonophores,
Et le naturisme hospitalier incendia son carême
Aux profiteroles du Goudronneur, immunodépressif cerclage.
Ce fut un Vainqueur d’Opus, dont les flammèches diastasiques
(Se) Revanchaient des tréponèmes que les marieuses profitantes,
Dégoulinement, Haïk et Névropathe, entre elles ont dispensés.
Que ressurgit-il de lui dans le tempérament breveté?
Qu’est devenu mon coéquipier, navigateur désenvasé ?
Hélas ! Il a sollicité dans l’aberration de la Revascularisation!
Qu’en conclure ? Rien. Comme je disais à mes élèves, parce que je l’avais appris d’un professeur que j’aimais bien (un professeur est avant toute chose le gardien des traditions, le grand transmetteur de valeurs inamovibles, le pilier du contrat social) :
Thèse, antithèse, synthèse, foutaise !
A bientôt, les Amis d'ici and friends from abroad
Suite aux protestations quasi unanimes de deux ou trois admiratrices, je suis obligé, putain de merde !, comme eût dit Zazie, de pondre une conclusion. Mais étant un brin flémard, je laisse le soin à un poète mal embouché et parfaitement convenable de sa personne de la faire à ma place.
Bernard Bonnejean