Lacan et les moautsx
A Doris, à Geneviève et aux femmes à reconstruire,
Mon introduction sera brève.
L'homme est constitutif de sa propre parole. Double, car constituée de la parole de l'autre et personnalisée par lui-même. Dans le Nouveau Testament, le texte dit que le Verbe s'est fait chair. Jean aurait pu ajouter que la chair s'est faite verbe, car il n'est pas de chair vivante sans signes.
Tout homme est un individu social. Et la socialisation passe par la parole, par les mots. Mais toute notre éducation repose sur le principe antinomique fondé sur la règle universelle obligation/interdiction : le dire à dire vs le dire à ne pas dire. De ce fait, tout langage élaboré participe du déguisement de la pensée. Tout mot y est une traduction : un travestissement, un mensonge. Car traduire, c'est trahir. Nous sommes, toutes et tous, les artistes de notre propre pensée, les écrivains de nos histoires, les traducteurs de notre moi, les traîtres de notre être. L'écrivain n'est pas destiné à dire la vérité ni sa vérité ni même une vérité ; son art use de l'artifice nécessaire à la construction d'un édifice présentable, acceptable par une société donnée, en un temps donné, dans un milieu historique, économique, politique, familial etc. imposé...
Bienheureux les petits enfants qui se laissent imparfaitement approcher de leur vrai par la méconnaissance partielle du convenu et de l'inconvenant ! Bienheureuses les Doris qui, d'origine étrangère, ne disposent pas de la "panoplie" complète du beau parleur ! Leur témoignage est d'autant plus enrichissant que le parfait mensonge de l'écrivain-artiste, parfait causeur-poseur, y est rendu impossible non par une sincérité toujours relative mais par une impossibilité d'ordre culturel.
Un psychanalyste pourra d'autant plus facilement faire re-naître ces Doris qu'il les aura plus aisément contraintes à se faire re-con-naître à elles-mêmes.
Jacques Lacan fut de ces gens qui montrèrent à quel point l'individu était constitutif de son langage (au point, à mon avis, d'en devenir prisonnier) . Com-prendre tous les langages de l'autre (mimiques, tocs, gestuelle, manies, utilisation d'accessoires, mots, expressions, erreurs de vocabulaire, tendance au verbiage, etc.) devient donc le moyen privilégié de lui ap-prendre à se re-con-naître afin de se faire re-con-naître. Non pour guérir de ses mots/maux, mais pour apprendre à les sublimer...
Prenez le temps de lire ces sept vidéos. Tentez d'entendre ce que Lacan vous dit à travers son discours, y compris à travers ses silences, ses mises en scène de théâtre, ses pièges, sa façon de traiter l'incident imprévisible.
Je me tais pendant deux ou trois jours. Par amitié.
Le Clown blanc et l'auguste
"La cravate fait obstacle à la communication"
"Il n'y a d'être que dans le langage"
"Pourquoi est-ce qu'on aime un être pareil ?"
"La nouvelle organisation : le totalitarisme ;
le nouvel ordre du discours du maître"
L'expérience analytique
"Aucun analyste ne peut s'autoriser
à parler de normal ou d'anormal"
J'ai toujours aimé les artistes. Ils nous enseignent et nous renseignent.
Il existe, près de Laval, une commune appelée Cossé-le-Vivien. En 1962, s'installait dans la ferme nommée "La Frénouse", un philosophe, peintre, architecte, sculpteur, poète, ami de Jean Dubuffet, André Breton, Jean Paulhan, Jacques Prévert, Giacometti et Jean Cocteau. Robert Tatin, imprégné de culture amérindienne, entreprenait à soixante ans, avec son épouse Lison, le grand oeuvre de son existence : la construction d'une sorte de temple étrange où se mêlent la mysticité et l'odeur de la bouse de vache. Ils travailleront sans discontinuer à cet "absolu réalisé" jusqu'à la mort de l'artiste, en 1983.
Un jour que, jeune professeur, j'allais discuter avec Tatin, j'eus le malheur de lui parler d'un de ses tableaux, parmi les plus précieux pour moi, où le peintre a mêlé les couleurs, les formes et la poésie calligraphiée. Voyant que je passais du temps à l'observer, il me demanda :
"Qu'est-ce que vous regardez là ?
-- J'essaie de lire les mots. "
Je me souviendrai toujours de sa diatribe coléreuse que j'aurais dû enregistrer et qui commençait par
"Jeune homme ! Méfiez-vous des mots ! Ce sont des traîtres !"
Il avait raison, sans aucun doute. A ceci près que, parvenu à son âge, j'ai la conviction qu'en les faisant parler, ces renégats ont tout à nous apprendre sur nous-même. Au fait, Mesdames et très chères amies, dites-moi un peu ce que vous pensez de cette oeuvre de Tatin, censée représenter Maurice Utrillo et sa maman, Suzanne Valadon.
A bientôt, amis d'ici et friends from abroad
Bernard Bonnejean